Le contrat social au XXIe siècle : ce qui coince vraiment (et pourquoi cela vous concerne)
POV : vous découvrez que vos choix comptent moins qu’un algorithme. 49.3, décisions imposées, débats contournés — et vous, simple spectateur. Sur TikTok, X, Instagram, les jeunes s’interrogent : la politique semble jouer sans règles… ou sans nous.
Mais au fond, le “contrat social”, savez-vous ce que c’est ? Ce pacte invisible qui organise nos vies communes — qui décide, comment, pour qui. Le comprendre, c’est reprendre la main sur les règles du jeu.
Problème : ce contrat craque de toutes parts.
Le numérique piège le consentement sous une apparence de choix
L’écologie révèle un accord signé sans le vivant
L’IA court-circuite notre pouvoir de choisir ensemble
Ce texte explore ces trois failles. Pourquoi le système tourne-t-il sans vous ? Et comment y reprendre votre place ? C’est plus qu’une explication : c’est une reprise de pouvoir. Vous lisez. Vous comprenez. Vous décidez.
I. Le contrat social n’est plus un socle : il devient une fracture politique
Le "contrat social" n'est plus un concept philosophique lointain. C'est un symptôme. Surutilisé, vidé de sa substance, il légitime tout et son contraire sans jamais être interrogé. Pourtant, à l'heure où la légitimité du pouvoir vacille et où l'autorité se délite, comprendre ce qui fait lien entre les citoyens et l'État devient vital.
L’autorité sans confiance : gouverner dans le vide
En 2025, seuls 26 % des Français déclarent faire confiance à la politique, contre 47 % des Allemands et 39 % des Italiens (Cevipof). Cette défiance n'est pas une humeur passagère : c'est un signal d'épuisement des pactes démocratiques établis. La crise sanitaire a aggravé la fracture. Des restrictions massives ont été acceptées au nom de la survie, dans une logique hobbesienne de soumission sécuritaire (Revue Politique).
Mais la défiance produit aussi une nouvelle dynamique : ce que Pierre Rosanvallon nomme la "contre-démocratie" — surveillance, empêchement, jugement — une vigilance citoyenne structurée (LGDJ, Wikipedia). Le mouvement contre la réforme des retraites de 2023 incarne cette volonté de reprendre la main (Wikipedia).
Consentir ? Vraiment ? Le piège algorithmique
Avec l'économie numérique, le contrat social se reconfigure sans consultation. Dans L'Âge du capitalisme de surveillance, Shoshana Zuboff démontre que les plateformes capturent nos comportements pour les transformer en marchandises prédictives. Le consentement est simulé, manipulé par des "dark patterns" et des "cookie walls" (CNIL). Le RGPD tente une réponse, mais le déséquilibre reste massif.
Penser le contrat à l'échelle de tous les vivants
Le contrat social classique ignore l'urgence écologique. Pour Bruno Latour, il faut un "contrat terrestre" : reconnaître les non-humains comme co-participants politiques. Le pacte démocratique ne peut rester anthropocentré alors que les fleuves, les forêts ou le climat deviennent sujets de droit dans certaines constitutions.
L’IA décide pour vous : la souveraineté change de main
L'IA entre dans les décisions publiques — justice, aides sociales, gestion urbaine — sans contrôle citoyen. Que reste-t-il de la souveraineté démocratique quand les critères sont définis par des algorithmes ? (Conseil de l'Europe, Télécoop)
Rejeter les (Z)élites n’est pas rejeter la démocratie
La défiance politique atteint des sommets : 82 % des Français estiment que les élus ne se préoccupent pas d'eux (Le Monde), mais 8 sur 10 réclament plus de participation (Solution Démocratique). La conclusion est claire : la démocratie n'est pas rejetée, elle est exigée autrement.
Le contrat social ne peut plus être un accord tacite, un reliquat de l'État-providence ou une formule rhétorique. Il doit devenir un espace actif de co-construction, où la légitimité naît de la participation réelle, continue, éclairée. L'enjeu : distinguer l'autorité de la domination. Et reconstruire, sur de nouvelles bases, ce qui nous lie encore.
II Trois philosophies politiques pilotent encore nos vies (sans nous consulter)
Le contrat social n’est pas un dogme figé du XVIIe siècle : c’est une architecture mobile, activée à chaque tournant de crise. Hobbes, Locke, Rousseau : trois modèles, trois logiques de pouvoir. Aujourd’hui encore, ils structurent en profondeur nos institutions. Les comprendre, c’est savoir lire les lignes de force sous les réformes, les lois, les dispositifs numériques ou participatifs.
Hobbes 2.0 : sécuritaire, opaque, algorithmique
Pour Hobbes, l'Etat doit assurer une mission centrale : la sécurité.
Le modèle hobbesien se retrouve dans la gestion verticale des crises : état d’urgence permanent, conseils de défense restreints, surveillance algorithmique (source). La pandémie a actualisé le Léviathan : autorité centralisée, justifiée par l’urgence. L’IA d’État – criminalité prédictive, reconnaissance faciale – parachève ce rêve hobbesien d’un pouvoir omniscient pour une paix imposée.

Locke 2.0 : droits numériques, consentement sous tension
La vision de Locke émerge après Hobbes et pour lui, l'Etat doit être le garnat des libertés et de la propriété.
Le RGPD incarne la réponse lockéenne à la captation numérique : information, effacement, portabilité, rectification – autant de déclinaisons des droits naturels modernes (source). Mais face aux GAFAM, ces droits restent théoriques : asymétrie technique, dark patterns, cookie walls. Le consentement est encadré mais vidé de sa portée politique.

Rousseau 2.0 : participation fragmentée, volonté générale dispersée
Rousseau pour sa part, fonde l'idée d'une société qui reposerait sur un contrat que chacun concluerait pour se doter d'une organisation destinée à lui assurer la plus large liberté. Cette organisation serait fondée sur l'idée d'un bien commun .
Convention citoyenne pour le climat, budgets participatifs, civic tech : l’idéal rousseauiste renaît sous forme de démocratie continue (source). Mais la fatigue participative, la capture par les élites sapent la promesse. L’expérimentation existe, mais elle peine à devenir structurelle.

Cartographie critique
Modèle | Manifestations | Outils | Limites |
---|---|---|---|
Hobbes 2.0 | État d’urgence, IA publique, décision fermée | Lois sécuritaires, algorithmes prédictifs | Réduction des libertés, opacité, infantilisation politique |
Locke 2.0 | RGPD, autorités de régulation, droits numériques | CNIL, consentement explicite | Inefficacité face aux monopoles techniques |
Rousseau 2.0 | Civic tech, conventions citoyennes | Tirage au sort, démocratie directe | Faible participation, biais socio-culturels |
Lire le présent avec les bons outils
Nos institutions hybrident ces modèles. La régulation numérique est lockéenne, la gestion de crise est hobbesienne, la transition écologique tente le rousseauisme. Chaque réforme révèle une tension entre sécurité, liberté et participation. Lire ces tensions, c’est manier une grille puissante pour comprendre ce qui se joue.
Le contrat social n’est pas mort : il mute. Et ses trois visages fondamentaux restent plus que jamais actifs.
III Et si la défiance était le vrai moteur de la démocratie ?
Le contrat social n’est pas figé. Il vit, se conteste, se refonde. Sa vitalité réside dans la tension : entre confiance et vigilance, autorité et contestation. Ce n’est pas l’adhésion docile qui fait tenir les démocraties, mais la capacité des citoyens à organiser la défiance comme levier de légitimité. Pierre Rosanvallon l’a formulé clairement : la contre-démocratie est une démocratie de la surveillance, de l’empêchement et du jugement (source).
Et si la défiance était une preuve de maturité démocratique ?
Derrière la défiance, il y a trois formes d’activité démocratique : la surveillance citoyenne (fact-checking, lanceurs d’alerte), l’empêchement (mobilisations sociales, désobéissance civile), et le jugement politique (exigence de redevabilité). Loin d’être anarchique, cette défiance est organisée, continue, fonctionnelle (source).
L’État face au piège de la verticalité : le cas français
La gestion française de la crise Covid a révélé un effet pervers : plus l’État s’est voulu vertical et centralisé, plus il a creusé la défiance (source). Le conseil de défense sanitaire, opaque et excluant, a illustré cette dérive hobbesienne. Ailleurs, comme au Danemark ou en République tchèque, la coopération a nourri la confiance. La leçon est claire : sans co-construction, pas de légitimité durable.
Le contrat social doit intégrer sa propre contestabilité
Émile Armand disait : « Le contrat ne vaut que s’il est révocable ». C’est là la ligne de crête entre autorité et domination : la capacité des citoyens à résilier, rediscuter, reformuler le pacte. Cette logique pousse à repenser l’intérêt général non comme une essence, mais comme une construction collective, disputée, révisable (source).
Trois vigilances à maintenir (et pourquoi elles sont essentielles)
Algorithmes vs volonté générale : les IA optimisent, mais ne délibèrent pas. Un exemple ? Parcoursup et la problématique de l'orientation dans le supérieur. Elles automatisent sans possibilité de contester les critères mêmes de leur logique.
Bien commun vs intérêts catégoriels : chaque réforme révèle un conflit sur la définition même de l’intérêt général (budgets, climat, retraites).
Urgence vs délibération : la gestion de crise tend à court-circuiter les contre-pouvoirs, fragilisant l’adhésion sociale.
Un nouveau pacte : révocable, disputé, co-construit
Le contrat social du XXIe siècle ne peut être qu’un processus de légitimation continue. Il repose sur des dispositifs ouverts (conventions citoyennes, civic tech), des droits à réviser les normes, et une culture de l’institution modeste, capable de reconnaître ses limites. La démocratie ne meurt pas de la défiance : elle meurt du refus de l’intégrer.
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IV. Consentement, vivant, algorithmes : les nouvelles lignes de fracture
Le modèle contractuel hérité du XVIIe siècle s'essouffle. Consentement éclairé, souveraineté humaine, pacte entre égaux : ces piliers vacillent sous l'effet combiné de trois forces : numérique, écologique, algorithmique. Penser le contrat social aujourd'hui exige de rompre avec ses fictions fondatrices.
Numérique : le consentement n'est désormais plus qu'une fiction juridique
Avec le capitalisme de surveillance, Shoshana Zuboff montre que le consentement n’est plus qu’un prétexte à l’extraction comportementale (France Culture). L’utilisateur devient produit, non partie prenante. Le "Big Other" gouverne sans contrainte apparente, en transformant l’environnement informationnel (Diggit Magazine).
Les outils de protection ? Inefficaces. Le RGPD masque une asymétrie technique structurelle : cookie walls, dark patterns, illusion de contrôle (CNIL, Captain Compliance). Alessandro Acquisti résume le paradoxe : plus on croit maîtriser, moins on protège (Le Monde).
Écologie : vers un contrat avec le vivant
Bruno Latour démonte la fiction de l'autonomie humaine. Le contrat social classique nie nos interdépendances vitales. Dans Face à Gaïa, il propose un contrat terrestre : négocier avec les non-humains, reconnaître la diplomatie du vivant (Philosophie Magazine).
Donna Haraway approfondit cette logique avec la sympoïèse : tout être est relation, co-construction, interdépendance (Multitudes). Le contrat social devient biocentrique, écologique, inclusif.
Des constitutions reconnaissent déjà des droits aux écosystèmes : Équateur, Bolivie, Nouvelle-Zélande (CELDF). D’autres incluent les générations futures, via des budgets carbone ou des représentants institutionnels.
Algorithmes : quand la délégation technique efface la souveraineté
L’IA s’impose dans la décision publique : justice, aides sociales, urbanisme. Que reste-t-il de la délibération ? Les algorithmes optimisent sans contestabilité politique (Conseil de l’Europe).
Josh Simons appelle à politiser les algorithmes : les rendre discutables, auditables, réversibles (Dans les algorithmes). Mais sans droit à l’explication, la technique devient pouvoir opaque.
Les smart contracts sur blockchain accentuent la tension : gouvernance sans intermédiaires, démocratie directe ? Peut-être. Mais leur immutabilité contredit la plasticité démocratique (Crypto Altruism).
Diagnostic : un modèle contractuel à bout de souffle
Le contrat social moderne ne peut survivre inchangé. Le numérique mine le consentement, l’écologie détruit l’anthropocentrisme, l’IA fragilise la souveraineté partagée. Ces mutations ne sont pas des dérives : elles révèlent les limites historiques d’un modèle politique devenu caduc. Le repenser, c’est rouvrir l’espace du politique.