La société n’existe pas – tout est fiction (mais ça marche quand même)
1. Le choc du “nous” imaginaire
Vous vous sentez membre d’une nation, d’un collectif, d’une entreprise ? Ce sentiment est puissant, mais il repose sur… rien de tangible. Ce qui vous relie aux autres n’est pas un fait objectif, ni un lien biologique. C’est une histoire. Une fiction. Un récit que vous partagez avec d’autres, sans même les connaître. Et cette fiction n’est pas un détail, c’est le ciment du social.
La force d’une société, ce n’est pas son histoire, sa géographie ou sa constitution — c’est sa capacité à faire croire à un “nous” commun. C’est parce qu’on adhère à cette fiction qu’on accepte les règles, les sacrifices, les solidarités. Et c’est là que tout bascule : ce qui nous unit n’est pas réel, mais fonctionne justement parce qu’on y croit ensemble.
2. Le “nous” est un montage collectif, jamais un fait brut
Trois penseurs clés nous permettent de démonter l’illusion du “nous naturel” :
– Benedict Anderson, politologue, montre que les nations sont des “communautés imaginées” : personne ne connaît ses millions de concitoyens, mais tous se sentent liés par un récit commun. L’imprimerie, les journaux, les langues standardisées ont permis cette illusion d’unité à grande échelle.
– Eric Hobsbawm, historien, dévoile comment la majorité des traditions “ancestrales” sont en fait des inventions récentes. Le but : produire du rituel, donner du poids symbolique à des identités nouvelles, masquer le bricolage sous une apparence d’évidence.
– Jeffrey Alexander, sociologue, pousse plus loin : un collectif peut se forger autour d’un traumatisme (Shoah, 11 septembre, attentats, pandémie). Ce n’est pas l’événement en soi qui soude, mais le récit organisé autour de la blessure. La douleur devient identité, et la mémoire, un outil de cohésion.
Tout cela converge dans cette phrase du texte pilier :
“Le ‘nous’ se fabrique, se réécrit, se rejoue — jamais naturel, toujours construit. Le social ne tient pas par la réalité, mais par la fiction organisée.”
3. Fictions efficaces : codes bricolés, mythes vivants
Prenez le kilt écossais. Perçu comme symbole ancestral, il a en fait été inventé au XVIIIe siècle et popularisé au XIXe par les élites britanniques. Il n’a rien d’authentique — mais il fédère.
Regardez les hashtags comme “Nous sommes tous Charlie” : en quelques heures, ils transforment une émotion en appartenance. Pas besoin de texte, ni de hiérarchie : juste un signe, un mot, une indignation commune.
Même dans l’entreprise, le séminaire annuel, les valeurs d’équipe, le dress code du vendredi sont des rites créés de toutes pièces. Ils sont efficaces s’ils sont vécus comme symboles partagés, pas comme folklore plaqué. Mais dès que la croyance vacille, la fiction se délite — et le collectif avec.
Conclusion : Ce qui unit, c’est ce qu’on accepte de croire ensemble
Le “nous” est toujours une construction. Il n’existe pas naturellement. Et plus une société est consciente de cette mécanique, plus elle peut la maîtriser. Le vrai défi, aujourd’hui, c’est de fabriquer du lien avec des récits assumés comme fictifs — sans cynisme, mais avec lucidité. Car une fiction bien organisée peut créer du réel. Et parfois, c’est la seule chose qui fonctionne.
Pour approfondir ce thème :
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Culture Gé Pour Comprendre,
Des Savoirs pour Agir, pas pour Briller.